jeudi 1 décembre 2011

Citation 17 / Leo Strauss (sur la persécution & l'art d'écrire)

"L'effet de la persécution sur la littérature est précisément qu'elle contraint tous les écrivains qui soutiennent des opinions hétérédoxes à développer une technique particulière d'écriture, celle à laquelle nous pensons lorsque nous parlons d'écrire entre les lignes".

Leo Strauss,
IN : La persécution et l'art d'écrire (1952).


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[commentaire - Olivier Pascault]


Leo Strauss (1899-1973) découvre cette technique d'écriture philosophique de la persécution lors de ses études et exégèses de grands auteurs de la philosophie "ancienne" : Platon et Spinoza, Maïmonide et Al-Fârâbi (confer notre article "Al-Fârâbi, passeur de Platon au Moyen Age" - http://latelierduserpentvert.blogspot.com/2010/11/les-oublies-1.html)

Ces deux derniers auteurs écrivaient dans des pays où la philosophie était illégitime du point de vue des autorités politiques. Ils n'étaient nullement libres de publier leur analyse véritable. Afin de contourner tout interdit, ils prirent l'habitude judicieuse de rédiger deux contenus différents : le premier s'adressait à tous, de manière claire, par des enseignements destinés à la multitude (ligne exotérique) ; le second était réservé à quelques initiés capables de lire entre les lignes, et donc susceptibles de saisir la pensée profonde de l'auteur par une compréhension des clefs scripturaires de l'auteur (ligne ésotérique).

Cette herméneutique particulière de l'art d'écrire est, pour Strauss, corrélée au schème de la pensée artistocratique trouvant ses racines dans la tradition grecque. Ainsi, il existe deux niveaux distincts du penser : le premier niveau s'adresse à l'élite, et le second niveau, fort éloigné des critères du premier formant l'étalon d'analyse, est destiné à la masse des non philosophes.

C'est pour cette raison que, sui generis, Strauss n'apprécie guère les auteurs et penseurs des Lumières qui, eux, avaient pour objectif éducatif de rendre compréhensible au plus grand nombre toute thèse et toute pensée, notamment s'agissant des idées politiques libérales. De Montesquieu à Rousseau, ils sont sur le gril de Strauss au même titre que la plupart des philosophes classiques des XVII-XVIIIè siècles.
Nonobstant cette singulière lecture de Strauss,  nous disposons-là d'une grille d'interprétation d'auteurs pénétrés d'engagements totalitaires. Ainsi, elle peut s'appliquer à la lecture de deux des figures contemporaines de l'engagement controversé : le philosophe Martin Heidegger et le juriste Carl Schmitt.  Dès 1933, ils prêtèrent serment au parti nazi (NSDAP) et nombre de leurs écrits suscitent encore aujourd'hui polémiques, selon que l'on s'affilie ou non à leur oeuvre, ou selon qu'on interprète celle-ci de manière littérale ou en lien à leur ontologie politique inscrite dans leur oeuvre même. 

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