mardi 9 octobre 2012

Jean Carbonnier - Inflation du droit : trop de pénal

<< (...) Oui, il doit y avoir plus de droit pénal qu'en 1958, au bout du compte. Aux vieilles lunes est renvoyée la conviction de la philosophie éclairée du XIXe siècle, que l'histoire de la peine est celle de son abolition continue.
Cette inflation du droit pénal participe à l'inflation générale du droit et l'aggrave, car le droit pénal, parmi les droits, a cette singularité d'être, de vouloir être douloureux. On pourrait, il est vrai, avancer en atténuant cette remarque qu'il l'est moins depuis 1958, le criminel à tout le moins ne risquant plus sa vie à le braver. Seulement, les incriminations subsistent, innombrables. Tout ce qui n'est pas défendu est permis, certes; mais les individus d'en bas ne réussissent pas à deviner tout ce qui défendu, et c'est ce nuage noir d'où la foudre peut sortir inopinément qui fait planer l'angoisse (...) >>.

Jean CARBONNIER, in :
Droit & passion du droit sous la Ve République,
Ed. Flammarion, Paris, 1996, p. 144.
 
 
[commentaire simpliste d'Olivier Pascault :
La sagesse du doyen Carbonnier, décédé en 2003, n'est plus à démontrer.
Certes, des générations extensives d'étudiants en Licence ont connu ses Manuels de droit civil, ses apports féconds et "progressistes" en droit de la famille à compter de 1975 - qu'il me soit pardonné cette expression courante liée au progrès, dans une période de reculs généralisés de civilisation avancée -  bien plus opératifs que Mazeaud & Chabas...
Certes, le doyen Carbonnier appartenait à une génération qui voulait, dans un autre registre que Michel Villey, sortir le droit de sa faconde techniciste, aboutissant à ce que quelques jeunes talents de juristes devenus à devenir des mécanos désuets d'une technique où le QCM remplaçait la pratique d'une réflexion raisonnant dans la nuit des solitudes et atermoiements proprement humains : la peine, la sanction, l'ordre nouveau de la norme de droit.
Le doyen Carbonnier a clarifié et raisonné la perspective d'une étude juridique sérieuse de la sociologie du droit. Le professeur Villey, à la fois dans son registre intime et public, quant à lui, foisonnait vers la philosophie du droit et l'histoire du droit pour revenir à des sources plus tempérées et justes du droit.
L'inflation juridique, véritable plaie en civil, pénal et droit public, aboutit à une incompréhension généralisée du droit, de la justice. Et plus encore dans la pratique des magistrats professionnels. Le professeur Villey a averti des étudiants qui se sont coulés dans la fange de la Technè. Tant pis pour le droit contemporain... tant pis pour tout justiciable en quête de justice.
Les vertus blasphématoires d'une telle impéritie entraînerait un blame chez tout potache agité d'un lycée bien éduqué. Hic & nunc l'Etat, dans notre pays agité par une instabilité politique consubstantielle habitée de "nuages noirs", se camoufle sous les ornières de petits élus carriéristes qui ont perdu l'ordre et la maîtrise des états de la multitude. La signature des choses, comme la signature des règles, invertissent les normes pour les vider de leur substance concrète.
De cette gageur de l'instable, surgit "l'angoisse" relevée par le doyen Carbonnier.
Au grand dam de notre humanité en béance.]
 


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