vendredi 17 août 2012

Leo Strauss (citation actualisée, commentée)


http://latelierduserpentvert.blogspot.fr/2011/12/citation-l-strauss.html


Critique d'Albert Camus sur la presse (extrait)


CRITIQUE DE LA NOUVELLE PRESSE
(Combat, 31 août 1944)
Albert Camus


<< (...) Lorsque nous rédigions nos journaux dans la clandestinité, c'était naturellement sans histoires et sans déclarations de principe. Mais je sais que pour tous nos camarades de tous nos journaux, c'était avec un grand espoir secret. Nous avions l'espérance que ces hommes, qui avaient couru des dangers mortels au nom de quelques idées qui leur étaient chères, sauraient donner à leur pays la presse qu'il méritait et qu'il n’avait plus. Nous savions par expérience que la presse d'avant guerre était perdue dans son principe et dans sa morale. L'appétit de l'argent et l'indifférence aux choses de la grandeur avaient opéré en même temps pour donner à la France une presse qui, à de rares exceptions près, n'avait d'autre but que de grandir la puissance de quelques-uns et d'autre effet que d'avilir la moralité de tous. Il n'a donc pas été difficile à cette presse de devenir ce qu'elle a été de 1940 à 1944, c'est-à-dire la honte de ce pays.
 

(...) Notre désir, d'autant plus profond qu'il était souvent muet, était de libérer les journaux de l'argent et de leur donner un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu'il y a de meilleur en lui. Nous pensions alors qu'un pays vaut souvent ce que vaut la presse. Et s'il est vrai que les journaux sont la voix d'une nation, nous étions décidés, à notre place et pour notre faible part, à élever ce pays en élevant son langage. À tort ou à raison, c'est pour cela que beaucoup d'entre nous sont morts dans d'inimaginables conditions et que d'autres souffrent la solitude et les menaces de la prison. >>

Albert Camus, extrait IN :

Actuelles I - Ecrits politiques, Gallimard, 1950.

mercredi 15 août 2012

"Pensée" / "Thought", Gregory Corso

THOUGHT

Death is but is not lasting.
To pass a dead bird,
The notice of it is,
Yet walking on
Is gone.
The thought remains
And thought is all I know of death.



PENSEE

La mort est, mais ne dure pas.
Passer près d'un oiseau mort,
En être conscient,
L'ayant dépassé,
Ne plus l'être.
La pensée demeure
Et la pensée est tout ce que je sais de la mort.

samedi 11 août 2012

"N'est pas de droite qui l'on pensait" - Dominique de Roux (1968) & commentaire OP

"N’est pas de droite qui l’on pensait"

Dominique de Roux

(texte intégral paru IN : L’Ouverture de la chasse, Ed. L’Age d’Homme,
coll. « La Merveilleuse collection », Lausanne, juillet 1968).




Dominique de Roux & Savimbi
            L’idée que la séparation entre la droite et la gauche ne serait qu’une vue de l’esprit est, elle-même, une idée de droite. De Drumond à Drieu de la Rochelle, la droite nationaliste française s’est battue avec acharnement pour liquider cet antagonisme, crevasse dans l’édifice limpide de la nation totale, de l’Etat total. Du point de vue de la nation, Robespierre et Brasillach se trouvent du même côté de la barricade, Hitler et Staline deviennent les deux pôles d’un même mouvement historique.

            La gauche, elle, ne s’est jamais définie par rapport à elle-même, mais, dialectiquement, contre sa droite la plus proche : la Chine Rouge de Mao en est venue à taxer l’URSS, « patrie du prolétariat mondial », tout simplement de puissance fascisto-impérialiste, et les extrémistes des maquis latino-américains crachent avec une délectation morose, sur leur droite à eux, au visage impassible des responsables en place des grandes centrales chinoises d’agitation et de propagande, qui, à leur avis — et peut-être en savent-ils quelque chose — seraient en train de trahir le front de la Révolution Mondiale dans le « Continent du Che ».

            En réalité, toute définition majeure de l’antagonisme, ou de la différence entre ce qui, dans l’histoire, dans la société, serait de droite ou de gauche, semble parfaitement impossible d’un point de vue historique ou social. Culte démentiel du chef solaire, charismatique, antisémitisme enragé, exaltation de la nation en tant que terre, en tant que mystère du sang versé, impérialisme permanent et total, toute-puissance du parti unique, de la sécurité de l’Etat et des Forces Armées, répression bestiale des atteintes à l’unité monolithique de la pensée du chef unique et de son parti, idéologie qu’il faille suivre, comprendre, imposer mystiquement et oecuméniquement : cette définition politique du stalinisme et de l’Union Soviétique de « l’ère stalinienne », absolument identique à la définition du Troisième Reich hitlérien, et de la situation doctrinaire d’un régime à l’opposé du communisme, prouve l’inanité de toute tentative d’explication, d’approche de l’antagonisme droite / gauche en partant d’un point de vue politique. Cette impossibilité apparaît la même, aussi bien historiquement que socialement. En effet, du point de vue de sa doctrine sociale, le national-socialisme de José-Antonio Primo de Rivera, et surtout de Ledesma Ramos, se trouve être infiniment plus « à gauche » que la plateforme sociale du régime contre lequel le Mouvement National s’était levé en armes, en juillet 1936. Du point de vue de l’idée historique centrale de la droite traditionnelle, qui est l’idée gibeline de l’Empire, de la supranationalité, Briand, voire même Léon Blum se trouvent infiniment plus à droite qu’un Charles Maurras.

            Il serait cependant inconcevable que l’on puisse vouloir nier la profonde séparation de l’histoire universelle en deux courants, en deux canyons d’intelligence des choses, des hommes et de tout, et que ces deux courants irréconciliables se situent l’un à gauche et l’autre à droite de la marche même de l’histoire, ou plus exactement de cette zone d’immobilité centrale où, comme à l’intérieur d’un cyclone, tout est calme, parce que toutes les contradictions des forces en présence s’y trouvent dialectiquement annulées, comme si de rien n’était, zone centrale de l’histoire que l’on pourrait appeler du nom de l’anti-histoire comme on dit anti-cyclone.

            C’est donc du point de vue de l’anti-histoire qu’il faudrait essayer d’approcher le secret de la séparation fatale entre la gauche et la droite de l’histoire. Or, le monde étant ce qu’il est, et par rapport, précisément, à ce qu’est le monde, l’anti-histoire, c’est l’esprit et le monde de l’esprit.

            C’est ainsi que face à l’Arbre Séphirothique, figure centrale de la Kabbale Judaïque, la colonne gauche est dite Colonne de la Rigueur, et la colonne de droite, Colonne de la Clémence. Mais la même Kabbale affirme, aussi, que l’ange de la Clémence est le même que l’Ange de la Rigueur. Dans ses écrits, un Joseph de Maistre, après Louis-Claude de Saint Martin, reconnaissait dans la Révolution française, — qui, pour lui, et pour les siens, était « le mal suprême », — une épreuve occulte de la Divine Miséricorde.

            Transhistoriquement parlant — qui propose donc de situer le centre de gravité de l’histoire comme en dehors de l’histoire elle-même, dans le dépassement même de l’histoire — la gauche et la droite existent, fondamentalement, comme l’infra-structure active, comme la grande force motrice de l’histoire face à con propre avancement.

            Seraient de gauche, du point de vue de la trans-histoire et de l’esprit, ceux qui pensent que le monde est tel qu’il apparaît, qu’il n’y a pas d’« autre monde ». La droite, au contraire, ne verrait dans ce monde qu’un passage, une sorte de figure chiffrée d’un autre monde, invisible, hors d’atteinte. Mais les uns et les autres, en réalité, ne feraient que servir la cause trans-historique de ce qui, de par cette contradiction même, fait que l’histoire n’arrête jamais, ni sa marche en avant ni son devenir.

            L’espace de la droite est d’ailleurs, son temps est à jamais situé dans l’après. La gauche vit dans le présent de son intelligence du temps, son espace est, paradoxalement, le temps de la présence réelle. La séparation entre la gauche et la droite est une séparation anti-historique, elle reproduit, en elle-même et en tant que telle, la séparation entre ce monde-ci et l’autre monde. Tout le reste n’est qu’ombre, connivences, malentendu et même, à la limite, haute stratégie.

            On comprend mieux, ainsi, pour quelles raisons profondes l’œuvre d’un Louis-Ferdinand Céline avait été comprise, et comme happée en URSS, qui se trouvait encore à l’aurore de son expérience de sécularisation de la réalité du monde et de l’histoire, affamée comme elle l’était alors, d’une certaine présence réelle d’un monde enfin libéré du poids catastrophique de l’autre monde. , et maintenant est la double exigence absolue de la gauche. Là, et maintenant, tout. Du point de vue du monde, tout est donc, toujours, trop tard, tout est crépuscule.

            Tout est crépuscule ? N’est pas de gauche qui l’on pensait.

Dominique de Roux (1968).






[commentaire – Olivier Pascault]

      Dominique de Roux (1935-1977) a marqué son temps en tant qu’éditeur, revuiste et écrivain pour qui engagement signifiait action, présence dans les luttes internationales et, forcément, clandestinité. A jamais hédoniste pour lier les faux contraires, Dominique de Roux savait découvrir et donner à lire des auteurs honnis par le conformisme ambiant des années 60 et 70 où l’interrègne des coureurs de fond du gauchisme infantile aimaient, quelquefois, balafrer ceux qui, un peu trop libres à leurs rouges goûts, refusaient un temps de marcher au pas chinois ou soviétique… ou italien ou yougoslave… ou albanais ou vietnamien.
      L’Ouverture de la chasse est ainsi un précis d’essais très courts que Dominique de Roux fait paraître en juillet 1968. Immédiatement après la sauterie de Mai, Dominique de Roux observe et ricane devant ceux qui, il n’en doutait déjà pas, ont joué aux « révolutionnaires à l’Odéon » et deviendront les gouvernants dociles et un peu libertaires (libertariens de gauche, plutôt - NDA) des années ultérieures. Pour Dominique de Roux, ces fils du barnum de Mai sont à ce point de pâles figurines de plâtre devant les Insurgés de la Commune de 1871 qu’il leur refuse tout net la mention de « révolutionnaires ». D’ailleurs, de Roux ne témoigne-t-il pas d’un polisson rendu célèbre, Cohn-Bendit, piaffant devant la salle à manger de Paris Match à s’en ronger les sangs de vertu. Dans cette atmosphère printanière de « surréalisme amolli, encrassé, se sont déchirés aux fourrés des mythologies révolutionnaires » (op. cit., p. 11) des fils émeutiers pour le plaisir de l’embuscade. Mais, prévient Dominique de Roux, « on ne fait pas une révolution sur une absence d’événement » (id.). A n’en pas douter, cette imposture n’a pas eu prise sur la majorité des ouvriers — y compris les plus syndiqués et politisés —, sinon en un tour de vis à la Héraclite affirmant « que l’âme sèche est la plus sage et la meilleure », peut-être davantage pour défier le Général et rameuter au bercail les parents des indolents. Ces mêmes parents qui prirent une dimension d’homme ivre. Au sens, là encore, où Héraclite entend que « l’homme quand il est ivre se laisse conduire par un enfant : il titube sans savoir où il va, car son âme est humide ».
      « N’est pas de droite qui l’on pensait », ici reproduit in extenso par nos soins, est sincèrement vrai. La situation ne l’exige pas, elle la démontre. L’histoire n’est ni circulaire, ni cyclique. Elle se jauge dans les situations, les alliages entre les idéologies, la politique, la politique économique et la guerre, mais encore, en une vue pénétrante, dans le fil d’Ariane très souvent caché des heures essentielles où se bousculent les décisions et lois porteuses des conséquences les plus strictes. L’histoire, comme le droit qui est une pensée juridique humaine et dénaturée par le juge (nota bene : au nom du principe « judex locutus, causa finita », le droit émane de la « bouche » du juge qui prononce un « nous » qui est en réalité un « je »), se décrypte à l’aune des comportements individuels et collectifs, en observant et les groupes et l’histoire sérielle. Autant dire que l’histoire a tout à gagner, à chaque fois et dès que cela est possible par les archives, à divulguer les études prosopographiques qui enseignent plus qu’elles n’analysent. L’analyse est la partie suivante du travail de l’historien, pour ainsi dire. L’histoire est une pensée en mouvement, fondée sur les archives, les études et une attention soutenue pour le cours philosophique, spirituel, théologique, littéraire et social du moment étudié. C’est sans doute ce que ce très court et brillant essai de Dominique de Roux nous enseigne, lui qui n’a pas manqué non plus de démasquer in situ tout l’intérêt qu’en retirait la politique de Washington d’appuyer indirectement les joyeux lurons des fêtes universitaires mondiales de 67-68 afin d’asseoir sa suprématie contre la ligne indépendante, décolonisée et souveraine que Charles de Gaulle proposait au monde.
      La politique est un combat pour la vie, et « vivre, c’est combattre » (Sénèque), perdre souvent, gagner parfois. De Gaulle a sans doute perdu avant tout contre Washington, non pas à cause d’une Sorbonne bien évanescente à vouloir faire vibrer sa liberté égotique et ne cillant pas ses yeux devant le subterfuge du maniement des foules, d’abord intellectuelles puis ensuite des masses de la part une administration centrale organique commandée par des militaires. Ces militaires US qui n’ont pas digéré la lutte nationale de « l’homme du 18-Juin » qui a su chasser tous les plans de mise en coupe réglée de la France dès 1942.

OP, 11 août 2012.